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51. L’exequatur. En droit interne, les décisions de justice rendues par les Cours et Tribunaux bénéficient de la force exécutoire. Par conséquent, elles « autorisent leur bénéficiaire à en obtenir l’exécution matérielle, le cas échéant en ayant recours à la contrainte publique »140. La question que l’on se pose est de savoir si une décision étrangère peut produire le même effet. Un divorce prononcé entre deux époux en France peut-il produire ses effets au Niger, en sorte que les époux y seront regardés comme effectivement divorcés ? Une réponse positive paraît devoir prévaloir. Une décision étrangère peut être accueillie au sein d’un ordre juridique donné et peut y produire effet. Pour ce faire, il est nécessaire d’introduire une procédure spécifique, la procédure d’exequatur. L’exequatur est l’acte qui confère force exécutoire, dans l’ordre juridique donné, à une décision étrangère. 52. Conformité de la décision étrangère à l’ordre public procédural ouest-africain. Pour pouvoir être revêtue de l’exequatur, une décision étrangère est subordonnée à une condition : sa conformité à l’ordre public procédural ouest-africain. Ainsi, un juge ouest-africain, saisi aux fins de délivrer l’exequatur, doit, au préalable, s’assurer que la décision étrangère a respecté l’ordre public procédural ouest-africain. Dans cette perspective, il doit impérativement s’assurer que l’ensemble des principes et des droits procéduraux consacrés par la Cour ont été scrupuleusement respectés. Autrement dit, la décision étrangère querellée a-t-elle été rendue dans des circonstances compatibles avec les garanties du procès équitable ? Dans cette veine, le juge de l’exéquatur doit s’assurer que les droits de la défense ont été respectés, notamment le principe du contradictoire. Et, ce n’est qu’à l’issue de toutes ces vérifications que le juge ouest-africain pourra fonder sa religion. Ainsi, deux alternatives s’offrent à lui : soit, il pourrait accorder l’exequatur en cas de conformité de la décision étrangère à l’ordre public procédural ouest-africain, soit, il refuse l’exequatur s’il s’est avéré qu’il y a une incompatibilité manifeste entre la décision étrangère et l’ordre public procédural ouest-africain.
53. Double acception du mot « extradition ». Le mot extradition renvoie à deux réalités, deux acceptions: dans la première, l’extradition peut être définie comme « le mécanisme par lequel un Etat (l’Etat requis) sur le territoire duquel se trouve un individu, remet ce dernier à un autre Etat (l’Etat requérant) afin qu’il juge »141. Dans ce cas, on parlera d’extradition à fin de jugement. Dans la seconde, l’extradition désigne le fait pour un Etat de remettre un individu à un autre Etat afin qu’il exécute sa peine. Dans ce cas, on parlera d’extradition à fin d’exécution. Cette précision terminologique apportée, on peut affirmer que la demande d’extradition reste tributaire de l’ordre public procédural ouest-africain. 54. L’extradition à fin de jugement versus ordre public procédural ouest-africain. Saisi aux fins de statuer sur une demande d’extradition à fin de jugement, tout juge d’un Etat membre de la CEDEAO doit au préalable s’assurer que la demande de l’Etat requérant réponde aux exigences de l’ordre public procédural ouest-africain. Autrement dit, l’individu dont l’extradition est demandée bénéficiera-t-il d’un procès équitable ? Ses droits (droit à la présomption d’innocence, droit à un avocat, droit à un tribunal impartial, indépendant et compétent, etc.) seront-ils garantis ? A cette fin, le juge saisi doit procéder à une analyse objective de la législation pénale de l’Etat requérant. A l’issue de cette vérification, deux alternatives s’offrent à lui : soit, il peut faire droit à la demande d’extradition lorsqu’il estime que la législation de l’Etat requérant réponde aux impératifs de l’ordre public procédural ouest-africain ; soit, il peut opposer une fin de non-recevoir à ladite demande lorsqu’il estime que l’individu dont l’extradition est sollicitée ne bénéficiera point d’un procès équitable. 55. L’extradition à fin d’exécution de peine versus ordre public procédural ouest-africain. Lorsqu’il est également saisi d’une demande d’extradition à fin d’exécution de peine, tout juge d’un Etat membre de la CEDEAO doit, au préalable, s’assurer que la personne dont l’extradition est demandée a bénéficier d’un procès équitable. Pour le dire autrement, la peine prononcée a-t-elle été rendue à l’issue d’un procès conforme aux standards de l’ordre public procédural ouest-africain. Ainsi, le juge doit-il vérifier que de l’enquête préliminaire jusqu’au prononcé définitif en passant par la phase d’investigation que tous les droits de la défense ont été respectés. Et ce n’est qu’après ce travail de vérification que le juge saisi pourrait fonder sa religion. Dans cette perspective, il pourrait être amené à prendre deux solutions : soit, il pourrait juger bien-fondée la demande d’extradition lorsqu’il estime que la peine dont l’exécution est demandée a été rendue au cours d’une procédure irréprochable. Autrement dit, que tous les droits de la défense ont été scrupuleusement respectés ; soit, il pourrait au contraire refuser ladite demande lorsqu’il estime que la peine prononcée a été rendue à l’issue d’un procès très inéquitable. Reste dès lors à examiner les réceptions législatives des solutions dégagées par la Cour de justice de la CEDEAO.
56. Le devoir d’ « implémentation ». Il pèse, en effet, sur tous les Etats membres de la CEDEAO un véritable devoir « d’implémentation »142 des décisions de la Cour de Justice de la CEDEAO. Autrement dit, ils ont l’obligation d’adopter des normes législatives, aux fins de favoriser la pleine réalisation de l’ordre public procédural ouest-africain. On doit vite d’empresser d’ajouter, au passage, que les Etats membres de la CEDEAO sont tenus de respecter les décisions de la Cour de justice de la CEDEAO, en adoptant des dispositions législatives, sans attendre d’être attaqués devant elle. Pour se convaincre du bien-fondé de cette affirmation, on mobilisera un raisonnement analogique. Dans cette perspective, on va se référer à la position dégagée par la Cour de cassation française à propos de la réception législative de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Appelée à se prononcer sur la question, la Cour de cassation française affirma que « les Etats adhérents à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, sans attendre d’être attaqués devant elle »143. Cette affirmation donna naissance sur le plan législatif à une grande réforme en matière de procédure pénale : la réforme du 14 avril 2011, relative à la présence de l’avocat dès le début des interrogations de police144. 57. La matérialisation législative des principes procéduraux proclamés par la Cour de justice de la CEDEAO. La consécration par la Cour de justice de la CEDEAO des principes procéduraux doit se traduire sur le plan législatif par trois réformes majeures : d’une part, la possibilité de faire appel des décisions rendues par les juridictions répressives (1) ; d’autre part, l’introduction d’un pourvoi dans l’intérêt des droits de l’homme (2) et l’érection des justices de paix à compétence étendue en tribunaux d’instance (3).
58. Le droit au recours. Dans certains pays ouest-africains, il n’est point possible de faire appel des décisions des Cours d’assises. Ainsi, en République du Mali, les arrêts de condamnation rendus par la Cour d’assises peuvent faire seulement l’objet d’un pourvoi en cassation145. En revanche, les jugements rendus en matière correctionnelle peuvent être attaqués par les parties par la voie de l’appel ou de l’opposition146. Il s’en dégage nécessairement que des atteintes sérieuses sont ainsi portées à deux principes structurant le procès pénal : l’égalité des citoyens devant la justice pénale et le principe du double degré de juridiction en matière pénale. L’égalité des citoyens devant la justice pénale, composante du principe général d’égalité, « impose, plus globalement, l’exclusion de toutes distinctions arbitraires dans l’élaboration et l’application des règles d’organisation judiciaire et de procédure »147. Or, en traitant différemment le prévenu et l’accusé, le premier étant fondé à faire réexaminer son affaire par une Cour d’appel alors qu’une telle possibilité est totalement fermée au second, le législateur malien rompt le principe d’égalité entre les justiciables maliens devant la justice pénale. En sus de la rupture d’égalité entre les justiciables devant la justice pénale, l’impossibilité de faire appel des décisions de Cours d’assises méconnaît fondamentalement le principe du double degré de juridiction en matière pénale. Mais on peut nous objecter que dans la mesure où un pourvoi en cassation peut être formé contre un arrêt de condamnation rendu par la Cour d’assises, le principe du double degré de juridiction en matière pénale se trouve ipso facto garanti. Cette thèse n’emporte pas notre conviction. En effet, l’ouverture d’un pourvoi en cassation contre les décisions des Cours d’assises ne satisfait point l’exigence fondamentale et conventionnelle du principe du double degré de juridiction en matière pénale. Car, le pourvoi en cassation se borne uniquement à un strict contrôle de l’application de la loi. Or, on peut affirmer, à la suite de F. Desportes et L. Lazerges-Cousquer, que le principe du « double degré de juridiction » paraît imposer que l’affaire puisse être réexaminée intégralement, dans tous ses aspects, de droit et de fait, par une juridiction « du second degré », comme l’est en France, la cour d’appel »148. Dans cette perspective, le législateur Malien, pour satisfaire l’exigence fondamentale du principe de double degré de juridiction en matière pénale, doit, à la suite des législateurs Français149, Ivoiriens150 et Sénégalais151, ouvrir, de lege ferenda, la possibilité aux accusés de faire appel d’une décision de Cour d’assises. Cette même possibilité devrait être ouverte aux personnes poursuivies pour enrichissement illicite au Sénégal. Celles-ci ne peuvent actuellement faire appel ni des décisions de la Commission d’instruction152 de la Cour de répression de l’enrichissement illicite, ni des arrêts de condamnation de la Cour153. C’est pourquoi on peut lancer une invite au législateur sénégalais afin de rendre sa législation relative à la répression de l’enrichissement illicite compatible avec le principe fondamental du double degré de juridiction en matière pénale.
59. Le réexamen d’une décision pénale consécutif au prononcé d’un arrêt de la Cour de justice de la CEDEAO. On peut, à la lumière de l’affaire Kpatcha Gnassingbé et co-accusés c. Togo, se demander : s’il ne faut pas introduire dans les législations ouest-africaines un pourvoi dans l’intérêt des droits de l’homme. Avant de répondre à la question, il convient de s’imprégner une nouvelle fois de l’affaire Kpatcha Gnassingbé et co-accusés c. Togo. Les faits de l’affaire sont très connus. Pour mémoire, on rappellera que Kpatcha Gnassingbé a été arrêtés le 12 avril 2009 pour avoir fomenté un coup d’Etat contre son demi-frère, le Président Faure Gnassingbé. Deux ans plus tard, plus précisément le 15 septembre 2011, il a été condamné, après plus de deux semaines d’audience, à vingt (20) ans de prison par la Cour suprême du Togo. C’est dans ces conditions que le requérant saisit la Cour de justice de la CEDEAO aux fins de constater la violation de multiples droits de la défense : droits à la visite, à la santé, à l’intégrité physique, à un procès équitable, d’être jugé dans un délai raisonnable. Se fondant sur l’article 7 de la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples, la Cour de justice de la CEDEAO a conclu que le droit du requérant et de ses co-accusés au procès équitable a été violé en raison de l’utilisation au cours du procès des preuves obtenues sous les actes de torture. Par conséquent, elle a ordonné à l’Etat du Togo de payer aux requérants « en réparation des dommages respectifs subis et en dommages intérêts toutes causes confondues : la somme de vingt (20) millions de FCFA à chacun des requérants victimes des actes de torture ». On en vient dès lors à se demander : si, en réalité, la violation du droit au procès équitable au sens de l’article 7 de la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples ne devrait pas être une restitutio in integrum ? Formulée autrement, la question est de savoir si la personne condamnée à l’issue d’une procédure jugée par la Cour de justice de la CEDEAO entachée de manquements aux exigences de l’article 7 de la Charte ne devrait pas bénéficier d’un nouveau procès. Une réponse affirmative paraît devoir prévaloir. On peut, en effet, affirmer, à la suite de la Cour européenne des droits de l’homme à propos de la violation de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, que « la seule mesure de nature à faire cesser la violation est le réexamen de l’affaire ou la réouverture d’une procédure judiciaire »155. Comme l’écrit Romain Boffa, « la liberté ne se monnaye pas, elle se rend »156. Dans cette perspective, l’instauration d’une procédure de révision des décisions définitives déclarées contraires à l’article 7 de la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples par la Cour de justice de la CEDEO devient une nécessité absolue. A cette fin, on pourrait s’inspirer du droit français, qui regorge déjà en son sein un tel mécanisme. En effet, depuis la loi française du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et le droit des victimes, un mécanisme de réexamen d’une décision pénale définitive, après un arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme constatant une violation des dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme, existe « dès lors que, que par sa nature et sa gravité, la violation constatée entraîne pour le condamné des conséquences dommageables auxquelles la satisfaction allouée sur le fondement de l’article 41 de la Convention ne pourrait mettre un terme »157. Ainsi, le réexamen a-t-il été admis pour les violations « commises lors de la procédure de cassation ; dans le fait de ne pas avoir eu le temps et les facilités nécessaires à la défense ; dans le but d’avoir un défenseur ; dans la violation de l’impartialité du juge ; par une insuffisante possibilité de contester les déclarations de la victime ; du fait de la fatigue inhérente à des débats d’assises anormalement longs qui ont compromis la défense ; par des difficultés excessives pour l’exercice d’un recours »158.
60. La Justice de paix à compétence étendue, un vestige de la colonisation. Généralement quand on évoque la colonisation, caractérisée par A. Césaire comme « chosification »159, l’accent est beaucoup plus mis sur le rapport « économie et colonisation »160 que sur le rapport « droit et colonisation »161. Or, comme l’a remarqué Rodière, « toute migration politique s’accompagne d’un mouvement de migration juridique »162. Car, en pareil cas, « le vainqueur a tendance à imposer sa loi, son système juridique entier aux vaincus »163. C’est pourquoi en sus de la colonisation économique il y eut une « colonisation juridique »164. C’est dans cette optique que le « législateur colonial »165, à travers une « politique d’assimilation outrancière »166, étendit par une loi du 24 avril 1833167 l’application du Code civil français à toutes les colonies françaises. Cette situation emporta une conséquence : la déterritorialisation des lois168. Comme l’a remarqué F. Luchaire en effet, la politique d’assimilation « n’(a) fait aucune différence entre la colonie et la métropole. L’autochtone est soumis au même droit que le métropolitain »169. L’application du Code civil français à toutes les colonies françaises nécessitait la création de juridictions. C’est dans cette perspective que furent instituées des Justices de paix à compétence étendue170. Celles-ci recevaient « toutes les fonctions des juges de paix en métropole et des attributions que ces derniers n’ont pas. En bref, le juge de paix à compétence étendue avait une compétence civile, commerciale, correctionnelle et de simple police. Il avait la faculté de saisine d’office, l’instruction et le jugement ; il exerçait les fonctions de juge d’instruction en matière criminelle »171. Au lendemain de l’accession des Etats d’Afrique noire francophone à l’indépendance dans les années 60, quand les nouvelles autorités se furent donné pour mission de doter leur pays d’un système juridique, deux camps s’affrontèrent. Le premier, dont A.-S. Touré était le chef de file, préconisa une décolonisation intégrale, y compris sur le plan juridique. A ce titre, il fallait « désoccidentaliser les règles juridiques »172. Et « désoccidentaliser » le droit signifie un retour au droit traditionnel. Le second, avec L.-S. Senghor à sa tête, estima que « la colonisation n’a pas été un phénomène purement négatif, pervers et satanique, qu’il faut utiliser l’acquis colonial dans le sens des intérêts des nouveaux Etats »173. A ce titre, le droit hérité de la colonisation pouvait être reconduit comme acquis de la colonisation. Finalement, sur le plan juridique, il n’y eut point de rupture entre l’ordre juridique colonial et l’ordre juridique post- colonial174. En effet, en vertu des accords de coopération175 entre la France et ses anciennes colonies, celles-ci avaient accepté de reconduire la législation coloniale. Cette situation emporta une conséquence : la « naturalisation »176 ou la « nationalisation »177 du droit colonial qui cessait de devenir le droit français pour devenir celui des nouveaux Etats indépendants. Aussi, la plupart des Etats ont-ils maintenu les Justices de paix à compétence étendue. |
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