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37. Une décision opportune : sauver la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI), et « légitimer » le procès Karim Wade. Si la décision du Conseil constitutionnel sénégalais n’emporte pas la conviction sur le plan juridique, c’est parce que c’est une décision purement opportune. Par sa décision en effet, le juge constitutionnel a sauvé l’existence même de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI). En effet, si le Conseil constitutionnel du Sénégal avait reconnu valeur constitutionnelle au principe du double degré de juridiction en matière pénale, c’eût été la fin même de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI), et, par voie de suite, l’annulation pure et simple de toutes les poursuites engagées contre Monsieur Karim Wade. Il eût, en effet, fallu modifier la loi instituant la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI), afin de la rendre conforme au principe du double degré de juridiction en matière pénale. C’est dans cette lignée de pensée que l’arrêt, rendu le 15 juin 2017 par le Conseil constitutionnel du Burkina Faso dans l’affaire Blaise Compaoré, n’est pas à l’abri de la critique. Tout en déclarant en effet contraires à la Constitution les articles 21 et 33 de la loi organique n° 20/95/ADP du 16 mai 1995 portant composition et fonctionnement de la Haute Cour de Justice et procédure applicable devant elle, modifiée par la loi organique n° 017-2015/CNT du 21 mai 2015105, le juge constitutionnel a cependant rendu une décision non-rétroactive, et l’inconstitutionnalité ne frappera les décisions déjà rendues par la Haute cour de justice. On est donc en présence d’un bel exemple de modulation dans le temps des effets d’une décision de justice106. Toutefois, on ne peut que condamner cette position. Comme le relève à juste titre le Professeur Abdoulaye Soma, « dans l’ordre juridique d’un Etat moderne, aucune norme, ni aucun acte ne doit rester valable en étant inconstitutionnel. La position du Conseil constitutionnel aboutit à valider et à laisser survivre juridiquement des actes qu’il sait pertinemment contraires à la Constitution »107. Par cette décision, le juge constitutionnel du Burkina Faso comme son homologue sénégalais a sauvé la procédure engagée devant la Haute de justice contre l’ancien Président Blaise Compaoré et les anciens membres de son dernier gouvernement. En approfondissant la réflexion, on peut soutenir que la décision du Conseil constitutionnel du Sénégal, et dans une moindre mesure celle du Faso, sont de nature plus politique108 que juridique. Du coup, l’une et l’autre peuvent s’inscrire dans la perspective du rôle politique du juge109. 38. Des principes et des droits procéduraux non encore consacrés. De l’analyse consacrée à l’ordre public procédural ouest-africain résulte un constat : celui-ci demeure incomplet, non exhaustif. En effet, plusieurs principes et droits procéduraux comme le principe du contradictoire « qui s’entend de la faculté reconnue à chaque partie de contredire les allégations, les demandes et les exceptions formulées par l’autre partie)110, l’égalité des armes, la publicité des audiences et du prononcé, le principe de la séparation des fonctions judiciaires (séparation des autorités de poursuite et d’instruction ; séparation des autorités d’instruction et de jugement), le droits à l’exécution des décisions de justice, la loyauté de la preuve pénale, le droit de ne pas s’auto-incriminer, le droit de participer à son procès, le droit à un avocat, n’ont pas encore été consacrés par la Cour de justice de la CEDEAO. C’est pourquoi la liste des principes et droits procéduraux est appelée demain à s’élargir, à se développer. Pour ce faire, les plaideurs ouest-africains doivent placer leur dossier sur ces terrains. Comme l’a si bien démontré le doyen Carbonnier, l’apport des parties au procès est très important: « Les juges ont rarement le pouvoir d’invention que suppose l’engouement contemporain pour la jurisprudence. Du moins en France. Il n’est pas réaliste de leur attribuer un tel pouvoir créateur. Sauf quand ils soulèvent un moyen d’office dans les matières d’ordre public, ce qui est rare et, d’ailleurs, bien souvent, désastreux, même pour la logique, les juges ne font que s’approprier une des thèses soutenues devant eux. On n’y réfléchit pas suffisamment, les juges n’ont, en réalité qu’un rôle de choix, d’option entre deux thèses qui ont été développées devant eux, deux raisonnements qui leur ont été proposés. Ce ne sont pas les juges qui raisonnent ; leur pouvoir est de choisir entre deux raisonnements faits par autrui »111. A partir de ces éléments, il est possible d’en conclure que l’existence d’un ordre public procédural ouest-africain est désormais incontestable. Il ne nous reste plus qu’analyser ses effets.
39. La réalisation112 de l’ordre public procédural ouest-africain. De décision en décision, d’espèce en espèce, la Cour de justice de la CEDEAO a dessiné, précisé, voire renforcé les contours de l’ordre public procédural ouest-africain. Toutefois, pour que celui-ci devienne réellement effectif, les arrêts de la Cour doivent pouvoir déployer la plénitude de leurs effets sur les législateurs nationaux (B) et les juridictions nationales (C). A cette fin, les arrêts de la Cour doivent avoir, non pas un caractère déclaratoire, mais exécutoire, normatif (A).
40. Caractère déclaratoire ou force normative. On peut se demander, avec A. Dieye114, si les arrêts de la Cour de justice de la CEDEAO ont une force obligatoire, normative. Formulée autrement, la question est de savoir s’ils ont un effet erga omnes. A force normative115 en effet, une norme, une décision116 qui oblige, contraint son ou ses destinataires à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose. Prise dans cette acception, la force normative des arrêts de la Cour serait alors leur capacité à s’imposer aux pouvoirs publics, aux autorités juridictionnelles et administratives de chacun des Etats membres de la CEDEAO. Ou, bien au contraire, si les arrêts de la Cour sont seulement déclaratoires. Dans cette perspective, ils ne seront pas directement exécutoires sur l’ensemble des territoires des Etats membres de la CEDEAO117. On peut affirmer, à la lumière du traité instituant la CEDEAO, de son Préambule et de ses Protocoles additionnels, que la Cour de justice rend des arrêts qui ont force normative, obligatoire 41. Le fondement textuel de la force normative des arrêts de la Cour. La force normative des arrêts de la Cour résulte de la combinaison de plusieurs dispositions des textes de la CEDEAO. L’article 15 §4 du traité de la CEDEAO dispose, en effet, que « les arrêts de la Cour de justice ont force obligatoire à l’égard des Etats membres, des Institutions de la Communauté et des personnes physiques et morales ». L’article 22 du Protocole additionnel du traité de la CEDEAO relatif à la Cour de justice dispose, ensuite, que les arrêts rendus par la Cour sont « immédiatement exécutoires et ne sont pas insusceptibles d’appel ». Enfin, l’article 24 énonce que « les Etats membres et les Institutions de la Communauté sont tenus de prendre sans délai toutes les mesures nécessaires de nature à assurer l’exécution de la décision de la Cour »118. De tous ces textes, un constat infère : les arrêts de la Cour de justice de la CEDEAO sont revêtus de l’autorité de la chose jugée. Par conséquent, ils s’imposent purement et simplement aux pouvoirs publics, aux autorités juridictionnelles et administratives119. 42. Pacta sunt servanda : la force obligatoire de la parole. En sus du fondement textuel, la force normative des arrêts de la Cour de Justice de la CEDEAO repose sur l’un des grands principes, dogmes fondamentaux de toute société ordonnée : la force obligatoire de la parole120. Comme l’a écrit L. Josserand, « La force obligatoire des contrats est à la base même de la vie en communauté ; de tout temps, on a considéré que le respect dû à la parole donnée est un des axiomes fondamentaux qui, issus du Droit naturel, ont passé dans toutes les législations »121. Ainsi, en ratifiant le Traité instituant la CEDEAO et ses protocoles additionnels, les Etats membres de la CEDEAO ont une obligation morale de respecter et de faire respecter les décisions rendues par la Cour de justice de la CEDEAO. On peut relever, au passage, que les Etats membres de la CEDEAO ont adopté, pour le moment, à l’égard des arrêts de la Cour, trois attitudes d’inégale importance. 43. Le respect. La première, positive, consiste à exécuter les arrêts de la Cour. Ainsi, chaque fois qu’ils ont été condamnés par la Cour à payer une indemnité réparatrice à un ou une requérante, les Etats ont toujours répondu favorablement. L’exemple le plus topique est celui du Niger. Condamné par la Cour à payer la somme de 10. 000 000 (dix) millions de FCA, soit 7.500 euros à Madame Hadijatou Mani Koraou pour préjudice moral consécutif à l’état d’esclavage dans lequel elle était réduite, l’Etat du Niger s’est acquitté de cette obligation122. 44. Le refus. La seconde, négative, consiste, quant à elle, à ne pas respecter le pouvoir d’injonction de la Cour. A plusieurs reprises, la Cour a enjoint, sans grand succès, à plusieurs pays de remettre en liberté dans les plus brefs délais des personnes arrêtées arbitrairement et illégalement. Ainsi, les injonctions de libération immédiate de Monsieur Mamadou Tandja123 pas plus que celle de Monsieur Michel Gbagbo124 n’ont guère été exécutées respectivement par les Etats du Niger et de la Côte d’Ivoire. On peut, dans la même veine, regretter l’attitude des autorités Sénégalaises dans une affaire similaire. Condamné par la Cour de justice de la CEDEAO à lever la mesure d’interdiction de sortie du territoire national dont faisaient l’objet les requérants Karim Wade et autres, l’Etat du Sénégal a, lui aussi, refusé d’exécuter cette décision. 45. Le mépris. La troisième, celle de la Gambie de l’ancien Président Yayah Jammeh, a consisté, enfin, non seulement à ne pas se soumettre aux décisions de la Cour125, mais, aussi et surtout, à nier toute compétence à la Cour en matière de violation des droits de l’homme. Ainsi, dans l’affaire qui l’a opposée au requérant Ebrimah Manneh126, la Gambie ne s’est même pas déplacée le jour de l’audience pour faire valoir ses arguments, arguant que le contentieux ne relevait pas de l’office du juge127 ouest-africain128. Moyennant ces précisions, la force normative des arrêts de la Cour de justice de la CEDEAO doit emporter une conséquence : le bouleversement de tout l’ordonnancement juridique129 ouest-africain à travers la réception tant jurisprudentielle que législative des solutions dégagées par la Cour.
46. Immédiateté normative de la jurisprudence de la Cour de justice de la CEDEAO à l’égard des juridictions nationales. Les arrêts de la Cour de justice de la CEDEAO sont, à l’égard des autorités juridictionnelles, dotés d’une force normative. Ce faisant, aucune juridiction, aucune autorité administrative indépendante, aucun juge, fût-il constitutionnel, administratif ou judiciaire, ne peut, ne saurait se soustraire à l’application de la jurisprudence de la Cour de justice de la CEDEAO. Dans cette perspective, doit être instauré un véritable dialogue, une collaboration130, une coopération131, un échange, des emprunts réciproques132, une interaction133 voire une « influence croisée »134 entre la Cour de justice de la CEDEAO et les juges nationaux. On doit s’empresser de relever, au passage, qu’un tel dialogue s’est déjà noué entre la Cour européenne des droits de l’homme et les juridictions européennes. L’exemple le plus topique est le dialogue qui s’est noué, en matière de la garde à vue, entre la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour de cassation française135. Celle-ci a fait application de la jurisprudence de celle-là en matière de garde à vue. La Cour européenne des droits de l’homme dans plusieurs arrêts a considéré « qu’en vertu de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, le prévenu doit pouvoir bénéficier de l’assistance d’un avocat dès le début des interrogations de police »136. Quelques années plus tard, la Cour de cassation française non sans résistances a fait sienne cette solution137. 47. Le juge judiciaire et l’application de la jurisprudence de la Cour de justice de la CEDEAO. Les manifestations de l’application de la jurisprudence de la Cour de justice de la CEDEAO par le juge judiciaire pourraient prendre diverses formes : d’abord, le juge judicaire peut appliquer la jurisprudence de la Cour de justice de la CEDEAO dans son office de tous les jours (1) ; ensuite, il peut l’invoquer pour faire obstacle à la reconnaissance des décisions étrangères issues d’Etats membres ou non de la CEDEAO(2) ; enfin, il peut l’appliquer dans les procédures d’extradition (3).
48. Deux cas de figure. Le juge judiciaire pourrait être amené à appliquer la jurisprudence de la Cour de justice de la CEDEAO dans deux cas de figure : soit par l’invocation des parties au procès (a), soit en relevant d’office la violation de l’ordre public procédural ouest-africain (b).
49. L’effet direct de l’ordre public procédural ouest-africain. Si tant est que les éléments constitutifs de l’ordre public procédural ouest-africain soient invocables devant les juridictions, les justiciables seraient fondés à en demander application à leur litige ou différend138. Ainsi, un justiciable astucieux (ou de son avocat) pourra obtenir d’une juridiction au visa de l’article 7 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples la récusation d’un juge pour défaut d’indépendance ou d’impartialité. De même, un justiciable serait également fondé au visa du même article à demander le respect de ces droits, au premier rang desquels la présomption d’innocence, le principe du double degré de juridiction en matière pénale, le droit d’être jugé dans un délai raisonnable, etc. Reste dès lors à examiner le second versant de la question : l’application d’office des dispositions de l’ordre public procédural ouest-africain.
50. Un moyen d’ordre public. Un moyen de droit est « dit d’ordre public lorsqu’il touche à un principe essentiel du droit. Il ne dépend pas de la volonté des plaideurs de renoncer à l’application d’un moyen d’ordre public et leur silence n’empêche nullement le juge, à chaque niveau de juridiction, de le relever d’office »139. A partir de cette définition, on peut dire que les éléments constitutifs de l’ordre public procédural ouest-africain sont tous des moyens d’ordre public, car ils touchent à des principes essentiels de tout procès. Par conséquent, le juge judiciaire a l’obligation de les appliquer d’office. En sus de son invocabilité devant les juridictions de l’ordre judiciaire, l’ordre public procédural ouest-africain peut également faire obstacle à la reconnaissance d’une décision étrangère.
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