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14. Le droit à un recours effectif. Le droit d’accès au juge confère à tout justiciable dont les droits ont été violés « le droit d’introduire un recours effectif devant une instance nationale»46. Cette garantie se rapporte à tous les actes du pouvoir exécutif et de l’administration, ainsi que du pouvoir judiciaire. Tel est le principe dégagé par la Cour de justice de la CEDEAO dans son arrêt Michel Gbagbo du 22 février 2013. Assigné à résidence surveillée pour des raisons politiques, Michel Gbagbo, en raison de la non-notification de l’acte administratif lui faisant grief, n’a pas été en mesure de saisir le juge administratif aux fins de contester la « voie de fait » que constituait son assignation à résidence. Une telle situation contrevient-elle au droit d’accès au juge ? Telle était l’une des questions principales posées à la Cour de justice de la CEDEAO, sur requête de Michel Gbagbo. A l’unanimité, la Cour répondra par l’affirmative. Ainsi, la Cour consacre-t-elle le droit à un recours effectif devant une instance nationale. A partir de là, on peut soutenir, en effet, que non seulement le recours doit exister, mais que le justiciable doit être en mesure de l’exercer47. Comme le relève le Professeur J.-F. Renucci, « l’effectivité du recours s’apprécie in concreto. Il doit être accessible à l’intéressé lui-même et adéquat, ce qui signifie qu’il doit être organisé de façon à permettre de dénoncer la violation alléguée. Cette effectivité du droit d’accès suppose la possibilité concrète pour un individu de contester un acte constituant une ingérence dans ses droits »48. On ne peut s’empêcher de faire un rapprochement entre l’arrêt Michel Gbagbo de la Cour de justice de la CEDEAO et l’arrêt Golder de la Cour européenne des droits de l’homme49. Se prononçant, dans l’affaire Golder, sur la question de savoir si l’impossibilité d’intenter une action en justice pour diffamation contre un gardien de prison pouvait s’assimiler à une violation du droit d’accès au juge, la Cour européenne des droits de l’homme avait également répondu par l’affirmative. 15. Le droit à une décision de justice. Qualifié de droit processuel fondamental par H. Motulsky50, le droit d’agir en justice a pour objectif premier et fondamental d’amener voire d’obliger le juge à « dire le droit, à faire justice »51. Autrement dit, tout justiciable a droit à une décision de justice afin d’assurer l’effectivité de son droit, de garantir la restauration d’une règle bafouée. Ainsi, l’accès au service public de la justice n’a de sens voire de portée que si le justiciable obtienne du service public de la justice une réponse à sa demande. Ainsi, le droit à une décision de justice a, en effet, un débiteur, le ou les Etat(s) et des créanciers, les justiciables. C’est en tout cas l’un des principaux, sinon le principal enseignement de l’arrêt Bouréïma Sidi Cissé c. Mali du 21 février 201452. En effet, la juridiction communautaire condamna l’Etat malien au motif que la plainte pour meurtre déposée par le Sieur Cissé est restée sans réponse. En d’autres termes, elle a rappelé l’interdiction du déni de justice. Il en résulte donc que le droit à une décision de justice est, dans la jurisprudence de la Cour de justice de la CEDEAO, une véritable composante du droit au juge. 16. Le droit à une décision de justice motivée. Une chose est de juger, autre chose est de rendre des décisions de justice convaincantes. En effet, la qualité d’une bonne décision de justice repose sur une bonne motivation53. Comme l’a écrit à juste titre Sauvel : « Nous ne demandons pas seulement au juge de mettre fin à nos différends, nous lui demandons de nous expliquer, de nous faire comprendre, nous voudrions être non seulement jugés, mais si possible persuadés, ce qui est bien autre chose »54. Analysée ainsi, une bonne décision de justice serait celle qui recueillerait l’assentiment des justiciables. En effet, la motivation « renforce la légitimité de la décision et satisfait davantage l’attente des justiciables »55. Dans cette perspective, on peut établir un lien dialectique entre l’accès à la justice et le droit à une décision de justice suffisamment motivée56. Celui-là n’est que le continuum de celui-ci. 17. Rendre effectif l’accès à la justice. Pour que le droit au juge et ses composantes ne soient, pour reprendre une formule de la Cour européenne des droits de l’homme, « des droits non pas théoriques ou illusoires mais des droits concrets et effectifs »57, il faut impérativement que les garanties d’un accès à la justice soient assurées. En effet, que deviendrait l’accès à la justice si les justiciables ne sont pas égaux devant la justice ? Ou, encore, si le service public de la justice est payant ? Ou, enfin, si la justice est trop éloignée des justiciables ? L’accès à la justice serait alors un droit illusoire voire une simple pétition de principes58. C’est pourquoi, la consécration d’un droit d’accès à la justice doit aller de pair avec trois exigences fondamentales : l’égalité devant la justice, la gratuité du service public de la justice et la proximité de la justice. 18. Egalité devant la loi, égalité devant la justice et accès à la justice. Parmi les principes structurant le service public de la justice figure en très bonne place le principe d’égalité. Il existe, en effet, un droit égal à être jugé. Autrement dit, « tous les justiciables dans une situation identique ont le droit d’être jugés par les mêmes tribunaux. En outre, les règles aussi substantielles que processuelles doivent être identiques »59. Ainsi, l’aphorisme du fabuliste français : « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de la Cour vous rendront blanc ou noir », s’accommoderait difficilement avec le principe d’égalité des justiciables devant la justice. 19. La gratuité, gage de l’égalité d’accès à la justice. L’égalité devant le service public de la justice postule la gratuité. Pour garantir l’effectivité des droits et garantir un droit effectif au juge, il faut gommer les inégalités économiques en mettant en place un système permettant la prise en charge des frais de justice. C’est dans cet esprit que la plupart des législations modernes ont eu à consacrer le principe selon lequel les juges rendront gratuitement la justice. Aussi, pour garantir au mieux l’accès à la justice conformément au principe de de gratuité, certains législateurs ont institué en faveur des plus démunis une aide judiciaire ou juridictionnelle dont le but est de permettre « aux justiciables modestes de mieux accéder aux ressources d’un système juridique de plus en plus perfectionné sans avoir à supporter, totalement ou partiellement, les frais occasionnés par la mise en œuvre d’une procédure »60. 20. Rapprocher la justice des justiciables. Outre l’égalité devant la justice et la gratuité de la justice, l’accès à la justice repose sur un troisième pilier : la proximité. En effet, pour mieux garantir le droit au juge, il faudrait impérativement rapprocher le justiciable de ses juges. C’est pourquoi, on peut affirmer à la suite du Professeur M. Mekki que « l’accès à la justice est étroitement lié à la question de la carte judiciaire. L’éloignement trop important des lieux de justice peut venir menacer l’effectivité du droit au juge » 61 . On doit relever, au passage, que tous les auteurs s’accordent pour dire aussi que la justice en Afrique est inaccessible aux citoyens62, notamment du fait de la distance entre la majorité de la population et les tribunaux63. On compte, en effet, en moyenne un tribunal pour 33 000 km²64 au Mali. Il en résulte que le droit au juge n’est pas assuré. La carte judiciaire du Mali est donc un obstacle à l’exercice de l’action en justice. Dans cet ordre d’idées, on peut établir un parallèle entre la carte judiciaire du Mali et la réforme de la carte judiciaire menée en France en 200865. Celle-ci aussi a été présentée comme éloignant la justice du justiciable à travers la réduction considérable du nombre de juridictions sur le territoire. C’est pourquoi elle a fait l’objet de sévères critiques. C’est ainsi que pour un auteur, elle constituerait une menace pour le « droit des droits », l’action en justice, car du fait de l’éloignement des tribunaux certains justiciables ne pourront pas accéder au juge pour faire valoir leurs droits66. Non seulement, les justiciables ouest-africains doivent pouvoir accéder à la justice de leur pays pour faire valoir leurs droits, mais ils doivent pouvoir le faire devant des juges indépendants et impartiaux.
21. Le temps du procès. Parmi les garanties générales du procès équitable figure en très bonne place le délai raisonnable. Il se trouve, en effet, consacré et garanti par plusieurs instruments juridiques tant internes qu’externes. Ainsi, tout justiciable, toute cause doit être jugé dans un temps ni trop court67 ni trop long. Ce temps est dénommé délai raisonnable68, une composante du procès équitable69. Ce faisant, la responsabilité d’un Etat pourrait être engagée pour dépassement du délai raisonnable. C’est dans cette veine que la Cour de justice de la CEDEAO a retenu, dans l’affaire Kpatcha Gnassingbé et co-accusés c. Togo70, la responsabilité de l’Etat du Togo, en estimant que « la détention des requérants à l’Agence Nationale du Renseignement (ANR), pendant plus de deux (2) ans, est une violation du droit à être jugé dans un délai raisonnable ». Cette décision mérite pleine approbation. En effet, en Afrique en général et en Afrique de l’Ouest en particulier, le temps du procès est souvent perçu comme étant trop long par les justiciables. Ils ont, en effet, le sentiment, selon la belle formule de La Bruyère, que si « le devoir des juges est de rendre la justice, leur métier, de la différer ». On a, en effet, l’impression que les juges statuent à train de sénateur. Entre l’introduction d’une demande en justice, le dies a quo et une décision définitive au fond, le dies ad quem, il peut s’écouler un délai très considérable, déraisonnable. L’exemple le plus topique est l’affaire Kaboré Ali Noaga « qui a traîné de 1960 à 1986, donnant à huit décisions, dont la première est celle du Tribunal civil de Ouagadougou (Burkina Faso) du 16 février 1961, et la dernière, celle de la Haute Cour judiciaire du 20 mai 1986 »71. On peut relever, au passage, que le manque de célérité n’est pas l’apanage exclusif de la seule justice ouest-africaine. A titre illustratif, l’Etat français, en raison de la lenteur de certaines de ses juridictions, a été plusieurs fois condamné par la Cour Européenne des Droits de l’Homme de Strasbourg. L’illustration la plus éclatante nous est donnée par M. Maurice Aydalot, Premier président honoraire de la Cour de cassation. Ainsi note l’auteur, il a fallu dix ans pour qu’une affaire de légitimation adoptive connaissât son épilogue72. En matière pénale également, on peut, malheureusement, établir le même constat. En effet, entre l’arrestation d’une personne et sa comparution devant une formation de jugement, il peut aussi s’écouler un délai très considérable, déraisonnable. En sus du délai raisonnable, les garanties générales du procès équitable doivent revêtir un troisième caractère : toute cause doit être entendue par un tribunal indépendant et impartial.
22. L’indépendance, vertu cardinale de la justice. L’indépendance constitue l’une des garanties essentielles du procès équitable. En d’autres termes, l’indépendance « fait la force principale de la justice »73. En effet, les juges doivent exercer leur mission, leur office en toute liberté74. Par l’arrêt H. Habré c. Sénégal, la Cour de justice de la CEDEAO consacre l’indépendance de l’autorité judiciaire au fondement des articles 10 et 11 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme75. De cet arrêt, deux observations s’imposent. 23. L’indépendance objective du juge. La première, c’est que le juge ne peut recevoir d’ordres de personne. Ainsi, il est indépendant de son employeur, l’Etat « de ses collègues, des parties au litige comme des tiers qui interviennent au procès » 76. Il en résulte que la Cour de justice de la CEDEAO consacre l’indépendance objective du juge. La seconde observation, c’est que cet arrêt mérite pleine approbation. En effet, bien qu’inscrite dans la totalité des Constitutions des Etats de l’Afrique de l’Ouest, l’indépendance de la justice demeure, malheureusement, encore de nos jours, une chimère. La justice se trouve, encore, inféodée au pouvoir politique. Comme le note E. Diarra, les autorités politiques ont « tendance à s’immiscer dans le processus de décisions de justice »77. Les exemples sont légion. Ainsi, en Côte d’Ivoire, note R. Degni-Segui, alors qu’un « arrêt de la Cour suprême daté du 8 février 1985 annulait les examens du certificat d’aptitude à la profession d’avocat (CAPA), le Président de la République, se prenant pour un degré supérieur de juridiction, décide… en dernier ressort… de limiter les effets de l’arrêt aux seuls candidats malheureux »78. 24. L’indépendance subjective du juge. L’indépendance du juge n’est pas seulement objective, elle est aussi et surtout subjective. En effet, un juge « ne peut être véritablement indépendant que s’il apparaît comme tel aux yeux du justiciable. Cette exigence est l’application d’un dictum de Lord Hewart : « Justice should not be done but should manifestly and undoubtedly be seen to be done » (« la justice ne doit pas seulement être rendue, mais il doit être manifestement et indubitablement visible qu’elle a été rendue ») 79. Prise dans cette acception, on peut affirmer que l’indépendance du juge ouest-africain est loin d’être acquise. En effet, la grande majorité des populations refuse d’exercer l’action en justice en raison du peu de confiance qu’elle accorde en l’institution juridictionnelle car, pour reprendre l’expression de Me H. Leclerc, le juge est contesté dans ce qui fait sa raison d’être : le jugement80. Pour beaucoup de justiciables maliens, par exemple, la justice tranche toujours en faveur du riche contre le faible, d’où l’impression que dans l’application de la règle de droit, il y a toujours deux poids, deux mesures81. Ainsi naît le sentiment de deux justices : une justice pour les pauvres82 et une justice pour les riches. 25. L’impartialité, une exigence du procès équitable. L’indépendance va de pair avec l’impartialité. En effet, le juge doit non seulement exercer son office en toute liberté, mais il doit aussi l’exercer en toute impartialité. En d’autres termes, il doit juger « sans parti pris favorable ou défavorable »83. Dans un arrêt H. Habré c. Sénégal du 18 novembre 2010, la Cour de justice de la CEDEAO a considéré que l’impartialité constitue l’une des garanties fondamentales du procès équitable. Il pèse donc sur le service public de la justice une véritable obligation d’impartialité. Ainsi, un certain nombre de comportements ou d’attitudes ne seraient pas acceptables. En effet, l’impartialité s’étend, pour reprendre la lumineuse formule de F. Ost, « même aux apparences, en application de l’adage justice must non only be done : it must also be seen to be done : si les circonstances donnent l’apparence de la prévention et font redouter une activité partiale du juge, le tribunal ne peut être considéré comme impartial »84. Un exemple entre mille : un magistrat ayant, dans une affaire, requis l’ouverture de l’information ne pourrait plus siéger au sein de la juridiction de jugement. Dans cette perspective, deux décisions de la Cour européenne des droits de l’homme doivent retenir l’attention. Dans la première, un magistrat de la chambre de l’instruction avait participé à un arrêt « constituant davantage une idée préconçue sur la culpabilité du requérant que la simple description d’un état » ; et comme ce magistrat avait ensuite participé au jugement de l’affaire, la Cour européenne des droits de l’homme condamne la France pour violation de l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, ledit magistrat pouvant manquer d’impartialité85. Dans la seconde espèce, un juge polonais, suite au meurtre d’un mineur par un autre mineur, s’était saisi du cas, avait procédé à l’instruction en réalisant beaucoup d’actes et enfin avait présidé l’audience. La Cour européenne des droits de l’homme y vit une atteinte au principe d’impartialité là encore86.
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