Le paradigme de l’hybridité
Ce paradigrne est l’apanage des anthropologues et des historiens qui sont une majorité à le défendre, II tend à relativiser la mondialisation culturelle, car il repose sur l’idée fondamentale que toute culture est en fait mélangée, fruit de siècles de contacts et d’échanges entre des groupes humains différents. Ce paradigme lui-même est ancien, comme en témoigne l’utilisation en anthropologie et en sociologie des concepts d’acculturation, de diffusion, de syncrétisme, etc. Mais le débat récent sur la mondialisation a conduit à un renouvellement de cette réflexion. Un des auteurs phares de ce paradigme est l’anthropologue Jan Nederveen-Pieterse. II dernontre, dans sa théorie de l'hybridité, que le mélange culturel a accompagné l'histoire de l’huma niet depuis sa naissance sur le continent africain. De plus, l’hybridation est attestée par des éléments aussi irréfutables que la diffusion des langues (l'Indo-Européen), des grandes religions (bouddhisme, christianisme, islam, judaïsme ...), des techniques (l'agriculture née en Mésopotamie), etc. Comme le résume Nederveen-Pieterse, « l'histoire est un collage ». Toutefois, la mondialisation contemporaine génère une accélération sans précédent de l'hybridité qui fait désormais partie de notre quotidien, de façon souvent inconsciente. On peut prendre un exemple qui montre à quel point ce paradigme contredit celui de l’hégémonie : le hamburger, ce symbole de l'hégémonie culturelle et culinaire américaine, porte le nom de la ville allemande où est née l’idée d'un sandwich à la viande, mais il est composé de petits pains issus de la culture juive, parsemés de graines de sésame orientales, garni de viande bovine sud-américaine, agrémenté de ketchup qui en fait est un chutney indien revisité par les Anglais, et de cornichons sucrés qui sont très scandinaves - à moins qu'ils ne soient russes... A y regarder de prés, si l'on fait l'archéologie de notre environnement quotidien, ainsi que la généalogie des éléments composant la culture « occidentale »29, c'est-a-dire des idées, institutions, coutumes, etc., on peut conclure que la culture dite « occidentale » n'est aujourd'hui qu'un gigantesque collage, pour reprendre le mot de Nederveen-Pieterse. L’ampleur et la rapidité de la mondialisation actuelle ont des conséquences également inédites sur le politique. Elle apporte l'expérience de la contingence des frontières et favorise ce que James Rosenau a appelé la « prolifération des identités » : dans un monde fluide, la congruence entre identité nationale et frontières étatiques a de moins en moins de pertinence et l’on voit apparaitre des formes d'identités plurielles qui peuvent entrer en conflit avec les modèles proposés par les Etats-nations30. Si les deux premiers paradigmes de l’uniformisation du monde et de l’essentialisme sont idéologiques, ce troisième paradigme de l’hybridité se veut empirique. Il se fonde sur les enseignements des sciences sociales telles que l’histoire, l’anthropologie, ou la sociologie. Il n'en reste pas moins qu'il a potentiellement des conséquences politiques subversives. Le paradigme de l'hybridité conduit notamment à remettre en cause les identités nationales et à constater qu'elles ne sont en fait que des identités toujours mélangées, combinaisons de peuples qui se sont amalgamés sous la bannière d'un leadership politique, à un moment donné de leur histoire, ce leadership ayant produit une idéologie ou un « récit » national. Les travaux de Benedict Anderson sur l'imaginaire national31 et d’Anne-Marie Thiesse sur la création des identités nationales32, participent de ce point de vue. De même, le politologue Jean-François Bayart et l’anthropologue Jean-Loup Amselle ont montre que les sociétés que l’on prétend traditionnelles sont elles aussi le produit de phénomènes d'hybridation, et que les traditions que l'on croit souvent immuables sont en fait loin d'être figées33. Ce paradigme, selon l’utilisation politique que l’on veut en faire, peut soit servir de fondement aux discours prônant l'apaisement des tensions et la tolérance, soit d'instrument pour justifier les réajustements des identités nationales qu'impose la mondialisation. Ce qui amène à évoquer le cas de la France.
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