2.2. Les enjeux d’une homogénéisation du marché agricole pour le secteur vitivinicole La volonté européenne de développer un marché concurrentiel et compétitif passe aussi par l’uniformisation29 de la réglementation agro-alimentaire, c’est-à-dire par l’insertion progressive du secteur vitivinicole dans la politique agricole commune dans le cadre d’une réforme de la PAC. L’OCM vitivinicole de 2008 est la dernière propre à la filière30. On parlera désormais d’OCM unique pour tout le secteur agricole. Ceci traduit une évolution en trois points : i) les VQPRD et les VDT tombent désormais sous la qualification d’AOP31 et d’ « indications géographiques protégées » (IGP) ; ii) l’étiquetage des vins et les pratiques œnologiques sont assouplis ; iii) la libéralisation des plantations32 ; iv) les conditions favorables pour une autorégulation des opérateurs à l’égard de la gestion des AOP et des IGP sont développées.
C’est la définition de la qualité du produit qui est ici en jeu. En effet, après avoir bâti, lors de la dernière réforme de l'OCM (Organisation commune de marché) une nouvelle segmentation de l'offre qui distingue les vins à indication géographique dont les AOP (ex-AOC) et les IGP (ex-vins de pays), des vins sans indication géographique, la Commission européenne demande, dans le cadre de la réforme des signes de qualité, de prouver pour les AOC désireux d’obtenir l’AOP, leur lien au terroir, et pour les ex-vins de pays souhaitant décrocher un IGP, leur lien au territoire. Le passage des AOC aux AOP s’accompagne donc de la rédaction de nouveaux cahiers des charges qui devront être validés par la Commission européenne en 2014. La contrepartie en étant une protection de ces indications géographiques au plan international (Galbrun, 2010). L'enjeu de l'écriture du lien au terroir est une réflexion sur la nature de ce lien et la redéfinition des conditions de son expression dans les vins.
Examinons les conséquences de cette évolution. Le premier point signifie que les exigences pour les autres produits alimentaires pourront être appliquées au vin. Dans le nouveau règlement adopté par le Parlement européen et le Conseil des ministres en automne 201133, la Commission européenne propose l'étiquetage de calories et des ingrédients pour le vin afin d’informer davantage les consommateurs. L’analyse textuelle des textes jusqu’en 2009 nous permet d’entrevoir une telle évolution. Dans cette fusion des AOP agricoles, une autre tendance pourrait se dessiner. La construction institutionnelle du marché vitivinicole s’est en effet construite sur un consensus pour concevoir les VDT comme un problème public européen, tandis que les VQPRD relevaient de problèmes publics nationaux. Les Etats membres gardaient ainsi une marge de manœuvre34 importante pour les VQPRD et pouvaient notamment établir des règles plus restrictives que celles exigées par la Commission. En se développant énormément depuis deux décennies, les VQPRD ont donc amenuisé le rôle des instances européennes dans la gestion du secteur ; mais en fusionnant les 21 OCM agricoles, la Commission ouvre la voie à un retournement de la situation, une prise de contrôle et un basculement des VQPRD, désormais AOP, vers un problème public européen. En effet, désormais, la reconnaissance en AOP ne sera plus faite par les Etats membres mais par la Commission. Il y a peut-être là une volonté des agents de la DG Agri de renforcer leur position dans la négociation vitivinicole en la raccordant à une réforme transversale du volet agricole, alors que jusque dans les années 2000, les acteurs du secteur qui s’étaient investis dans les débats européens, l’avaient fait dans l’objectif de préserver la régulation de leur industrie d’une européanisation qu’ils pressentaient comme un risque (Smith et al., 2007).
Les deux autres points traduisent une volonté du régulateur de faire participer davantage les acteurs du secteur tout en assouplissant les pratiques œnologiques et l’étiquetage – l’utilisation des copeaux de bois, par exemple, est autorisée par l’UE, alors que l’INAO en France l’interdit pour les AOP. Du fait de leur participation à la réforme, les professionnels sont mis dans une situation difficile et sont menacés par des évolutions qui pourraient être trop contraignantes. Ils doivent relever plusieurs défis dont celui de la qualité.
L’OCM unique ne bouleverse pas complètement le secteur a priori. En poursuivant ce qu’ont fait les règles antérieures, elle renforce le contrôle au sein des AOP. Sans introduire de nouveaux principes, elle ouvre la porte à des changements. Selon la façon dont elle sera mobilisée par les acteurs, elle pourra transformer le secteur en transférant le pouvoir au niveau européen au détriment des Etats, par exemple. D’autre part, les nouvelles règles incitent aussi les producteurs à s’en saisir pour innover en matière de relations avec les consommateurs, améliorer la qualité et l’information sur celle-ci, entre autres. L’OCM unique ouvre donc tout un champ des possibles. Son interprétation et sa mise en œuvre au sein des instances mondiales pourraient accentuer les changements, en profondeur, du secteur.
La réforme mise en place en 2008 est une libéralisation du secteur vitivinicole, c’est ainsi que l’on perçu les créateurs de l’EFOW (European Federation of Origin Wines, cf infra). On peut y percevoir un objectif de dé-singularisation (pour reprendre la terminologie proposée par Karpik 2007) du produit vin pour développer la compétitivité du vin européen dans une perspective où la concurrence n’est perçue que comme une concurrence en prix. Nous y reviendrons plus loin. Auparavant, regardons une autre volonté de dé-singularisation à travers le débat mondial marques-AOP.
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