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Terres d'accueil. Dans le grand jeu de Monopoly fiscal auquel s'adonnent ces Français au portefeuille bien garni, le « plat pays » est le grand gagnant. Avec une fiscalité sur mesure pour tous les riches, qu'ils soient actifs ou oisifs, la Belgique arrive désormais en tête des destinations préférées des Français, devant la Suisse, paradis des rentiers, et l'Angleterre, terre d'accueil des créateurs et des yuppies. Alors que les travailleurs belges versent pratiquement la moitié de leurs revenus à l'Etat, les détenteurs de capitaux sont très bien traités outre-Quiévrain. Pas d'impôt sur les plus-values, pas d'impôt sur la fortune, des donations très faiblement taxées : le royaume est un véritable éden pour le chef d'entreprise ou le cadre doté en stock-options qui veut se retirer. « On voit également beaucoup d'hommes d'affaires et de patrons français qui, après avoir créé une filiale en Belgique, s'aperçoivent qu'il est fiscalement intéressant de délocaliser le siège social de leur entreprise de ce côté-ci de la frontière, et finissent par venir habiter à Bruxelles avec toute leur famille », rapporte Marc Loos, attaché économique et commercial à l'ambassade de Belgique en France. Tout ce petit monde se croise dans les couloirs du cercle de Lorraine, un club huppé d'industriels wallons, à la sortie des lycées internationaux ainsi qu'au Loui, le bar de l'hôtel Conrad à Ixelles. La Suisse, bien que moins avantageuse qu'auparavant, reste l'autre destination de choix des VIP français. Son principal atout ? Le fameux « forfait », qui permet aux riches étrangers n'exerçant aucune activité lucrative de négocier avant leur arrivée le montant total de l'impôt qu'ils auront à acquitter. « Le revenu forfaitaire est calculé sur le montant des dépenses effectuées localement, notamment sur la valeur de l'habitation, et non sur le niveau de revenu ou de fortune réel », indique le fiscaliste Patrick Michaud. Une aubaine pour les très gros patrimoines (au-delà de 20 millions d'euros). Jean-Claude Killy, Richard Virenque, Amélie Mauresmo, Gérard Wertheimer (Chanel) et quelques autres dizaines de nos ressortissants les plus fortunés se la coulent douce sur les rives du lac Léman. Mais leur nombre tend plutôt à se réduire qu'à augmenter. Explication : les exilés dorés préfèrent désormais la Belgique et de plus en plus l'Italie. Depuis que Silvio Berlusconi a supprimé, en 2001, les droits de succession et de donation, nombre de riches Français se laissent séduire par la dolce vita. Parallèlement, le flux d'arrivées tend à se réduire à Londres, malgré une devanture alléchante sur le marché du shopping fiscal ! En fait, c'est surtout pour les entrepreneurs et cadres en activité que la destination est intéressante. « Beaucoup de sociétés hexagonales s'installent en Angleterre parce que les charges so-ciales y sont faibles et la liberté du travail plus grande qu'en France », note l'écrivain Marc Levy, qui vient d'emménager à South Kensington, le quartier préféré des « Frenchies ». Ses voisins : des trentenaires gestionnaires de hedge funds, de holdings et de start-up au profil très international, qui apprécient le dynamisme de la ville... et son taux d'imposition sur le revenu plafonné à 40 %. Alain-Dominique Perrin, ancien PDG du groupe de luxe Richemont, résident à Londres depuis 1998, a fait le calcul : « Quand j'étais en France, je payais entre 68 et 70 % de mon salaire en impôts. Sur un revenu de 1 million d'euros, il m'en restait 320 000 après impôts. Ici, je gagne le même salaire, mais je suis beaucoup moins taxé puisqu'il me reste 590 000 euros après impôts. Conclusion, même si la vie est plus chère de 30 % qu'à Paris, j'ai quand même plus d'argent. » Tout n'est pas rose pour autant sous le ciel nuageux de la capitale britannique : le coût de l'immobilier, exorbitant à Londres, et la qualité de vie, souvent jugée médiocre pour les familles outre-Manche, poussent beaucoup de Français à rentrer. La pression des femmes. Pas si simple d'abandonner sa patrie, même avec une belle économie d'impôt à la clé. Beaucoup hésitent. Daniel Bernard, malgré les impôts dont il va devoir s'acquitter sur les 0,2 % du capital de Carrefour dont il est toujours actionnaire (cela représente une coquette somme de plusieurs millions), assure qu'on ne le retrouvera pas dans les rangs des émigrés fiscaux. Il aime trop sa maison de Chatou et l'art de vivre à la française. Francis Reversé, le fondateur de Dégriftour, qui fait lui aussi de la résistance - il a désobéi aux conseils de son avocat et refusé de quitter le pays après avoir vendu sa société en 2000 -, n'en a pas été récompensé. Il est la cible de tracasseries permanentes de la part du fisc français ! Pour l'avocat Patrick Michaud, il faut prendre le temps de la réflexion : « Les personnes qui partent le nez au vent, par réaction allergique à l'impôt ou à un contrôle fiscal, ont toutes les chances de rater leur délocalisation », affirme-t-il. A l'ambassade de France de Bruxelles, le service de l'attaché fiscal estime ainsi que 10 à 15 % des affaires qu'il traite concernent des demandes de retour. Première cause d'échec : les dissensions familiales. « Les femmes sont en général beaucoup plus réticentes à quitter le pays que les hommes, raconte un conseiller fiscal. certains couples, prévoyants, organisent un faux divorce qui permet à l'épouse de garder un pied en France, les autres partent en duo... mais finissent par rentrer sous la pression de madame... » La maladie constitue également un facteur de rapatriement, de nombreux Français n'ayant confiance que dans le système de santé hexagonal et refusant d'être soignés ailleurs. Enfin, il arrive parfois que la greffe avec le pays d'accueil ne prenne pas. François Micheloud, du cabinet de conseil financier spécialisé dans l'établissement de personnes fortunées en Suisse, voit ainsi arriver chez lui beaucoup de Français d'Angleterre, qui « trouvent Londres dangereuse, surpeuplée et déprimante ». Amusant, quand on sait que les Belges prétendent, eux, récupérer des « Frouzes » (le nom donné aux Français par les Suisses romands) morts d'ennui à Genève ! Si ces changements de villégiature ne posent pas de problème à Bercy, pas plus que les retours définitifs à la « mère patrie » - le ministère des Finances est très indulgent avec les repentis, surtout s'ils sont riches ou célèbres -, les « faux » départs sont, eux, dans la ligne de mire de l'administration. Pour être considéré comme « non-résident », et donc échapper aux impôts français, les règles sont strictes : il faut en effet avoir passé plus de 183 jours hors des frontières hexagonales, mais aussi avoir renoncé à tous ses centres d'intérêt vitaux (liens maritaux et patrimoniaux) dans le pays. « Ceux qui font mine d'avoir quitté le territoire mais gardent un appartement, un compte en banque et passent le plus clair de leur temps dans l'Eurostar ou le Thalys ont donc toutes les chances de se faire pincer », mettent en garde les professionnels. Epluchage des factures téléphoniques et d'électricité, surveillance du courrier, mais aussi enquêtes de voisinage et même visites nocturnes avec huissier : la redoutable DNVSF - Direction nationale des vérifications de situations fiscales - dispose d'un arsenal impressionnant pour repérer les « tricheurs ». L'écrivain Michel Houellebecq vient d'en faire la désagréable expérience : domicilié en Irlande, il s'est fait épingler par l'administration française pour n'avoir pas respecté la règle des 183 jours. Sans doute n'avait-il pas les bonnes relations à Bercy, car les personnalités « politiquement vendables » passent généralement au travers des filets du fisc français. Alain Prost passe ainsi le plus clair de son temps en Provence, où il a une maison, alors qu'il est officiellement résident suisse. De même, Yannick Noah et Robert Louis-Dreyfus, le président de l'OM - respectivement domiciliés à Genève et à Davos -, travaillent presque exclusivement en France sans jamais être tracassés. Les « anonymes » qui ne bénéficient pas de ces passe-droits ont eux aussi leurs petites combines pour continuer à fréquenter assidûment Saint-Tropez ou Cap-Ferret sans être inquiétés. Certains n'hésitent pas à tirer sur la corde, telle cette richissime héritière de la grande distribution qui, officiellement domiciliée à Londres, vit entre Paris et la Côte d'Azur, et n'hésite pas à faire rembourser les frais de médecins de ses enfants par la Sécu française, bonne fille ! Le secret : un patrimoine au nom du mari ou des enfants, des comptes ouverts par des mandataires, des voyages en jet privé sur des compagnies comme NetJets, qui garantissent l'anonymat de leurs passagers. A condition d'être bien conseillé et d'y mettre le prix, il est toujours possible de se faire discret... Se nourrissant de ces nouveaux besoins, un véritable « business de l'expatriation » est en train de naître. « Depuis quelques années, on voit arriver à Paris des banques étrangères, notamment suisses, dont la principale activité consiste à démarcher les grandes fortunes pour les attirer vers les paradis offshore », constate un banquier de la place. Julius Baer, l'Union bancaire privée, et même la célèbre banque Pictet ont désormais une équipe au marché français. Attaqués, les établissements hexagonaux réagissent en ouvrant des bureaux dans les pays d'accueil, de manière à conserver leur clientèle délocalisée. La Compagnie financière Edmond de Rothschild est présente en Belgique, aux Pays-Bas, en Suisse et en Grande-Bretagne ; quant à la Société générale, elle a racheté la banque Hambros à Londres, puis la banque flamande De Martelaere, qu'elle développe depuis en région wallonne... Dans le sillage des banques ou parfois en indépendants, les « family officers », ces conseillers coordinateurs qui aident les familles fortunées à gérer au jour le jour leur patrimoine, surfent eux aussi sur la vague des délocalisations. Chez OBC, filiale du néerlandais ABN-Amro, Gilles Dunoyer est parfois amené à organiser le départ de ceux de ses clients qui ont décidé de s'expatrier. « Je leur propose un package qui va de la recherche d'un avocat spécialisé à la résiliation et au transfert des comptes en passant, s'ils le désirent, par la recherche d'une maison et d'une école pour les enfants », raconte-t-il. Avant d'en arriver là, nul doute qu'il aura imaginé tous les montages financiers possibles pour limiter l'imposition et éviter le départ. Car, une fois la famille à Bruxelles ou à Genève, c'est bien souvent une partie du gagne-pain du family officer qui s'en va. « Il se fait conseiller et place son argent sur place, pour le plus grand bonheur des professionnels locaux », témoigne un gestionnaire de fonds parisien, qui estime à quelque 350 millions d'euros le montant des encours partis en impôts et délocalisations au premier semestre. Une goutte d'eau dans la mer des milliards évaporés à l'étranger, dont ni l'économie ni le fisc français ne verront la couleur... Le rapport Marini évalue à 83,3 milliards d'euros la perte directe que représente pour l'Etat cette évaporation fiscale sur six ans. Chiffre a minima auquel il faut ajouter les impôts fonciers et les droits de succession partis en fumée, ainsi que la TVA non perçue sur les biens consommés par ces riches expatriés. Un avocat cite ainsi l'exemple d'un de ses clients, fou de Provence mais parti vivre à Londres pour des raisons fiscales : « Entre la location de la maison à 15 000 euros la semaine et celle de voitures pour tous ses invités, les achats de billets d'avion, les frais de bouche et de personnel, le manque à gagner pour le village où il avait ses habitudes est significatif. » Plus généralement, et même si l'administration assure que « le problème ne l'empêche pas de dormir », ces expatriations représentent, selon Marini, une perte de dynamisme pour l'économie française. La plupart des « exilés » s'investissent en effet dans de nouvelles activités, à l'image de Pierre-François Grimaldi, qui a lancé en Belgique une nouvelle société spécialisée dans le développement de photos, ou de Lotfi Belhassine, ex-PDG de la compagnie Air Liberté, aujourd'hui à la tête de Liberty TV, une chaîne de télévision qui emploie une centaine de personnes à Bruxelles. Au total, la commission des Finances du Sénat estime que les expatriés fiscaux ont investi à l'étranger, depuis six ans, « entre 10 et 15 milliards d'euros de capitaux ». Signe que, derrière le débat purement idéologique sur l'ISF, se cachent de vrais enjeux économiques : chez tous nos voisins à la fiscalité allégée, on attend avec le plus grand intérêt les annonces de rentrée sur le sujet (voir encadré). En espérant secrètement qu'une fois encore la France sera incapable de se réformer. « Chez nous, affirme le député bruxellois Yves de Jonghe, les restaurateurs, magasins de luxe, agents immobiliers, banquiers et autres commerçants ne craignent qu'une chose : que la France supprime l'ISF et que ces exilés dorés ne quittent le pays pour retrouver leur mère patrie... »
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