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Chapitre 3. Le Compiègnois, communauté de destin. S’est imposée au cours de la première décennie du nouveau millénaire la thèse selon laquelle l’aménagement du territoire et les pratiques spatiales participaient au XX e siècle de ce que F. DUBET appelle « le programme institutionnel » : l’Etat puissant, les institutions lourdes et stables donnaient aux groupes sociaux et aux individus un cadre de pensée et d’action qui fonctionnaient comme des injonctions et autorisaient tant la transmission que la reproduction des usages géographiques. Cette représentation du siècle écoulé permet de pointer les nouvelles pratiques territoriales d’individus aujourd’hui plus réflexifs, obligés en permanence de reconstruire leurs identités et de donner un sens nouveau à leurs actions. Toutefois, l’histoire de l’intercommunalité locale met à l’épreuve cette vision en montrant comment les contestations de la planification ont imposé d’emblée l’élaboration d’un contrat compiègnois, c’est à dire la mise en place de processus de régulation de nature à transformer l’ institution syndicale en une communauté de destin. En effet, la réorganisation de l’architecture territoriale, avec la création du SIVOM et l’adoption du SDAU, a défini un espace de projet fondé sur de grands accords globaux. Mais, la mise en œuvre des projets d’aménagement s’est immédiatement accompagnée de nombreux contentieux qui exprimaient plus une critique croissante des légitimités publiques que l’instabilité des intérêts collectifs. Dès lors s’est dessinée une transformation profonde de l’action intercommunale : l’application normative du vaste programme legendriste a fait place à des solutions de plus en plus négociées. Deux aléas ont accéléré cette évolution : d’abord, le retournement de la conjoncture de 1974-1975 a disqualifié les projets de haute croissance en ruinant les bases qui les fondaient, puis l’adoption d’un plan de prévention des risques naturels en 1996 a bousculé les perspectives tracées pour imposer de nouvelles orientations. Les acteurs du Compiègnois auront eu le mérite et la force de s’adapter à ces évolutions imprévues pour expérimenter un modèle de développement local, en négociant continuités et ruptures au péril de l’aménagement. L’espace de projet initial s’est ainsi trouvé refondé, autorisant l’émergence d’une communauté élargie. Un homme aura su incarner le pacte qui fait tenir le puzzle compiègnois. Se présentant comme le continuateur de l’œuvre de Jean Legendre, Michel WOIMANT était de ces grands commis ayant « très souvent pour tâche de concilier des positions différentes, fondées sur des intérêts et des points de vue distincts ». Et l’homme de répondre à la question sur les raisons de consacrer près de 28 ans à l’intercommunalité : « Très vite, j’ai vu combien il était passionnant d’essayer de définir notre avenir avec les représentants de 14 communes très différentes, de populations se situant dans la proportion d’1 à 100, d’environ 400 à 40 000 habitants »1.
11. Des projets conflictuels. Fondateurs, les deux accords qui réorganisent l’architecture du Compiègnois entre 1969 et 1973 – l’institution du SIVOM et l’adoption du SDAU-, s’avèrent, comme toute réforme importante, difficiles à mettre en œuvre. La longue décennie 70 (1971-1983) est marquée par divers conflits que suscitent la mise en œuvre du SDAU, les premiers aménagements et l’élaboration des Plans d’Occupation Sols, principalement sur les rives droites de l’Oise et de l’Aisne. Le premier mandat surtout, de 1971 à 1977, est agité ; puis, la routinisation de l’institution et le renouvellement des conseillers font peu à peu prévaloir le consensus. Des relations orageuses, il ressort que les partenaires du SIVOM s’étaient engagées dans la coopération non sans arrière-pensées : croyant ou non aux projections de croissance, les communes périphériques espéraient que la ville centre subirait l’essentiel de l’urbanisation, tandis que certaines escomptaient limiter les programmes de lotissements destinés à l’habitation, à charge pour elles d’accueillir les nouvelles zones d’activités. Dans les rapports de force, la sortie du SIVOM était une menace crédible, mais mobilisée en derniers recours par de rares petites communes, d’autant que Jean Legendre déplorait d’éventuels dangers futurs : « L’avenir de ma ville ne m’inquiète pas. Il est assuré. Toutes les infrastructures sont déjà réalisées qui permettront à ses 50000 habitants de bénéficier de tous les avantages de la vie urbaine. L’avenir des autres communes du SIVOM est plus inquiétant »2. Les relations intercommunales ne furent pas alors un long fleuve tranquille, mais les conflits furent gérés avec habileté voire ritualisés. Selon les acteurs mobilisés, leurs engagements, leurs débouchés politiques, et la sortie de crise, nous distinguerons 3 configurations de conflits au sein de l’intercommunalité . Les conflits entre instances représentatives. Deux exemples illustrent les conflits entre élus municipaux et conseil syndical. Ils posent des questions alors récurrentes : le SIVOM est-il une assemblée d’élus gouvernés par Compiègne et son maire J. Legendre ? Les petites communes qui reçoivent beaucoup du SIVOM doivent-elles perdre une partie de leurs pouvoirs décisionnels ? Le jeu démocratique faisant des élections un moyen de régulation du conflit au niveau communal, un nouveau conseil municipal peut-il ignorer les délibérations de ses prédécesseurs ? Il va sans dire qu’un conseil municipal ne peut adopter une posture de défiance sans le soutien d’une partie de ses administrés et mandants. Et il reste que les conflits n’étaient possibles qu’en vertu de la règle initiale fixée par les concepteurs du SIVOM : Compiègne ne disposait pas de la majorité au Comité syndical. Le cas de Jaux, opposé au projet de ZAD entre 1971 et 1974, est exemplaire 3. C’est la première tentative de contestation de l’intercommunalité, alliant élus et population, sous double contrainte : la ville centre, soutenue par le représentant de l’Etat, bénéficie d’ un rapport de forces légèrement favorable au Conseil syndical. Résumons les faits4. Les élections de mars 1971 portent un nouveau maire à la tête de la commune de Jaux – René Tantot-, et dès le 17 Avril 1971, les Jauens s’organisent pour s’opposer au SDAU. La nouvelle municipalité de la petite commune tente d’abord de prendre le pouvoir au sein de la jeune intercommunalité : le second adjoint, M. GUIBERT, se porte candidat à la présidence du syndicat. Le pouvoir central intervient : le sous-préfet C. Michel convoque le maire et son adjoint qui retire sa candidature. Marquée par cette expérience, la municipalité adopte une attitude prudente, voire attentiste, qui l’expose aux récriminations d’une partie de la population. Une « association pour la protection des sites concernant les communes de Jaux et Jonquières » se constitue, relayée au Conseil Municipal par l’élu CROUZAT. Sont dénoncés « le caractère clandestin de la préparation du schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme » et la politique du fait accompli : « on demande l’approbation d’un schéma qui est déjà en application » (29/1/1972 ; 27/05/1972 ; 28 /10/1972). Le SDAU est finalement adopté à bulletins secrets par 8 voix favorables contre 3. La tension se ravive, quand les élus découvrent la programmation de la ZAD fin décembre 1973, et perdent en 5 jours, tout contrôle d’un projet qui scelle le destin communal: le maire ayant été écarté de la commission d’urbanisme ( 17/12/1973), les élus protestent (19/12/1973) et tentent de bloquer le processus de zadage en demandant l’approbation préalable du Plan d’Occupation des Sols ; mais, le comité syndical rend une décision favorable avec 21 voix pour 18 contre ( 21/12/1973), et le 1er Mars 1974, le préfet arrête les créations de ZAD sur les territoires de Jaux et d’Armancourt, ainsi que les pré ZAD sur les territoires de Venette et Jaux. Le conseil municipal ne peut que réitérer la décision de planter des rideaux d’arbres pour masquer le centre commercial ( 18/5/1974 ; 29/8/1975), puis rejeter la demande sous-préfectorale d’éclairage de la Rocade Sud ( 26/6/1976). Le cas d’Armancourt entre 1977 et 1983 relève du même type. La commune est confrontée à deux problèmes : d’une part l’aménagement du lotissement Les Treilles depuis Octobre 1973, d’autre part l’implantation d’un faisceau ferroviaire décidé par le SIVOM le 10 juillet 1974 car indispensable à la desserte de la zone industrielle sud ou au futur port fluvial . Le second aménagement inquiète la population par son impact environnemental dénué de compensation fiscale. La nouvelle municipalité élue en 1977, avec Michel Blanquart à sa tête, hérite des problèmes et dénonce l’infrastructure s’alliant objectivement à tous ceux qui s’opposent à la zone industrielle sud, ou s’interrogent sur la pertinence des dépenses engagées au regard de la vacuité entrepreneuriale – 510 millions de centimes de francs pour 90 hectares-. Au Conseil syndical, l’affrontement tourne aux attaques personnelles, et « jette, selon A. Chaussy, un certain discrédit sur l’action du SIVOM » ; isolé, le maire d’Armancourt annonce la démission de son conseil municipal à l’exception de deux élus. Le 17 Septembre 1978, Michel Blanquart est réélu sur un programme simple : « Notre village connaîtra soit une évolution normale et raisonnable dont il a besoin, soit l’écrasement industriel au seul profit du « grand Compiègne ». En ce qui me concerne, ma position reste intransigeante. La plaine d’Armancourt ne doit pas être massacrée au profit d’intérêts extérieurs »5. Le 9 Avril 1979, le maire envisage le retrait d’Armancourt du SIVOM . S’en suivent des échanges entre J. Legendre et le sous préfet, tandis que le Conseil municipal d’Armancourt se divise : le 27 Juin 1979, le maire ayant perdu la confiance des élus quitte la séance. Le conflit se résout avec le changement d’ hommes, et la révision du projet d’agglomération. Dès lors, Joël FRANCOIS, conseiller municipal depuis 1971, élu maire en 1983, peut tracer des perspectives claires et consensuelles : « Au moment de la création du SIVOM en 1970, Armancourt était un petit village rural de quelques 240 habitants qui vieillissait. Dès la création du SIVOM, le maire de l’époque a sollicité la réalisation d’un lotissement. Et c’est ce lotissement qui a permis le rajeunissement de la population et porté le nombre des habitants de notre village à 473. Nous ne souhaitons plus voir la commune s’étendre. Nous voulons conserver l’aspect rural de notre pays »6. Le conflit d’instances s’éploie dans d’autres communes du SIVOM . A Saint Jean aux Bois où l’idée de 20 pavillons concerne aussi les habitants des 187 maisons existantes, dont 60 résidences secondaires, et suscite la formation de 3 listes aux élections de 1977; à Venette où le Conseil Municipal rejette la création d’une ZAC de 500 logements au Chemin de Bouquy ainsi que l’extension de la ZAD en 1978 ; à Clairoix où les projets de 100 logements aux Hayonnes puis du barreau routier entre la voie express Venette-Ribécourt et la RN 32 provoquent une crise municipale (1978-1980)7. Au cœur de ces contestations se trouvent de nouvelles attentes sociales que les élus venetiens précisent ; unanime, le Conseil rejette le projet de ZAC8 « compte tenu de la population actuelle qu’il entend voir progresser de façon régulière et sans à coup comme en témoigne le démarrage du lotissement Les Courtils Noé de 59 logements, considérant que le dit projet n’entre pas dans le cadre du village ni son caractère villageois qu’il entend maintenir pour l’ensemble de la commune, y compris les extensions futures, considérant d’autre part qu’il est absolument opposé à la très forte densité prévue dans ce projet » 9. Les conflits population-élus. Deux exemples comptent historiquement, posant la question d’un mouvement compiègnois « pas dans mon jardin », « Not in my backyard »10. Le cas Le Meux s’apparente au mouvement nimby par le répertoire des justifications qu’expriment les contestataires de la programmation de la zone industrielle sud. Vitale pour l’avenir du Compiègnois, la zone industrielle du Meux s’amorce avec l’acquisition de terrains par la Société Européenne de Brasserie ( Kronenbourg) . Mais un médecin d’une commune voisine, installé de l’autre côté de l’Oise, et certains propriétaires locaux ne se satisfont pas des clauses inscrites dans le SDAU à la demande du Conseil Municipal, créent l’Association pour la Défense de l’environnement et la protection des sites de l’Oise et de l’Aisne autour de Compiègne, multiplient les actions juridiques en 1974 : recours auprès du tribunal administratif, attaque en cassation de l’ordonnance d’expropriation. « Les requérants soutiennent que l’opération envisagée sera onéreuse par le coût élevé des terres agricoles de la région, qu’elle privera l’agriculture d’une quantité importante de bonnes terres, qu’elle entraînera des pollutions et des nuisances, qu’elle provoquera l’irruption massive d’une main d’œuvre étrangère et qu’elle portera atteinte au site de l’environnement ». Le jugement rendu est décisif parce qu’il pose le SIVOM comme défenseur du bien commun: « ces inconvénients dont ni l’importance ni même la réalité ne sont établis, ne sont pas excessifs, compte tenu de l’intérêt économique et social que (l’opération) présente »11. La lenteur des procédures contentieuses fait que la victoire juridique du SIVOM survient, alors que la Société Européenne de Brasserie a renoncé à son projet. La zone industrielle de Le Meux, véritable « poumon du Compiègnois », n’ a pu démarré effectivement qu’en 1986. A Choisy-au-Bac, le projet de lotissement des Linières mobilise un bon tiers des résidents qui s’opposent à ce nouveau quartier. Envisagé le 16 Mai 1966, décidé le 21 Juin 1974, finalisé le 18 Mars 1976, le projet prévoit 120 logements locatifs, 100 HLM, 30 ILN, et 150 pavillons. L’idée, telle qu’elle est défendue par la municipalité de R. MOUREZ, divise la population : le 12 Avril 1976, au conseil municipal, la proposition visant à limiter les hauteurs des bâtiments à 3 niveaux est écartée par 9 voix contre 4. Dès lors, les positions se durcissent. Si la pétition jointe au dossier d’enquête de Déclaration d’utilité Publique ne compte pas moins de 482 signatures lisibles sur 1317 électeurs inscrits, le Conseil Municipal, fort de l’onction démocratique et soutenu par le SIVOM depuis le 24/6/1977, considère « qu’il est hors de question que la commune devienne exclusivement réservée aux résidences secondaires et aux habitations ayant pour seul critère la ségrégation sociale par l’argent »12 ; le 3 novembre, il se déclare « résolu à appliquer un programme social pour lequel il a été élu ». Les obstructions se multiplient : recours de propriétaires de terrains, opposition de l’Association de Sauvegarde déboutée le 18 Décembre 1979 par le Tribunal Administratif d’Amiens, règlement de la ZAC cassé le 19 Avril 1985 parce que le commissaire enquêteur était un adjoint au maire d’une commune adhérente du SIVOM. Le bilan est simple. La saga de la ZAD aura duré plus de onze ans, et trois mandats municipaux, mais l’objectif des élus et du SIVOM est atteint : l’achèvement du quartier est fêté lors du 15 e anniversaire de l’Intercommunalité. Le sens de l’affaire est plus complexe : le cas des Linières témoigne moins de l’émergence d’un mouvement nimby, que d’une contestation de ce qui était alors présenté comme la nécessaire modernité. Dès lors, M. WOIMANT peut recadrer la confrontation par un récit ramassé et balancé: « Le site splendide, en lisière de forêt, devait permettre de loger de façon agréable, les nouveaux habitants de notre région et les mal logés. Encore fallait-il être à la hauteur du défi : les immeubles construits, petits collectifs ou maisons individuelles de dimensions modestes, variés, dessinés avec goût par des architectes bien choisis, s’intègrent parfaitement au paysage et ont évité le mal de trop de cités modernes, la monotonie. Mais quelle obstination n’a-t-il pas fallu au Maire de Choisy et au premier président du SIVOM, M. LEGENDRE, pour triompher du harcèlement politique et juridique, pour mener à bien l’opération la plus complexe jamais conduite par le SIVOM. »13 L’expérience alternative de Jonquière. Le cas est emblématique parce qu’il anticipe la réorientation du projet intercommunal en alliant renouvellement de la citoyenneté villageoise et défense du patrimoine14. La population de cette petite commune éloignée de la ville centre était sensibilisée au préjudice esthétique et à la modification du microclimat depuis les années 60 : les trois monts qui signalent l’entrée nord-ouest du Compiègnois, menacés par l’exploitation des matériaux nécessaires à l’aménagement de l’Autoroute du Nord et la RN 31, subissaient les pressions des carriers (1966- 1974). Les projets du SIVOM sont de nature à défigurer définitivement le site : le POS adopté prévoit l’accueil de 8000 nouveaux habitants ; abaissé à 6000, l’objectif démographique implique toujours une urbanisation massive et répétitive, à base de maisons-terrasses. Aussi, sous l’égide d’un représentant d’une vieille famille ancrée dans le Compiègnois, jonquièroise dès 1654, la contestation s’organise. Jean-Jacques CARLUY, fils du maire Jacques Carluy (1963-1968) entre au Conseil Municipal en 1971, puis crée en 1974 une association de sauvegarde pour conserver au village son identité: il est élu maire en 1977 sans l’avoir souhaité. Aussitôt, le projet local est profondément et durablement reconsidéré avec la révision du POS : objectif démographique limité à 1500 habitants, reclassement des espaces à protéger, acquisition de l’ancienne sablière du Mont Clergé pour aménager plus de 5 hectares d’aires de loisir, de jeux et de sports ; après une étude assez fouillée conduite avec l’aide du SIVOM en 1979-1980, la ZAD est supprimée en 1982. La municipalité, qui a promulgué l’interdiction d’arracher les oignons de jonquilles ( Mars 1979), décide de participer au concours d’amélioration du cadre de vie ( Avril 1982), et suscite une opération « briques » - la brique étant caractéristique du bâti de la rive droite -, destinée à faire redécouvrir l’architecture villageoise. Plusieurs fois primé au concours des villages fleuris, le lieu se distingue en 1983, quand une des rues est livrée aux patineurs pour le plaisir des médias régionaux et nationaux. Trois conclusions s’imposent.
En fait, c’est la mesure du retournement de la conjoncture économique en 1974-1975 qui impose une réorientation stratégique. 12. L’aggiornamento de 1978. En Août 1978, Jean Legendre dresse dans un long mémorandum de 10 pages un bilan de l’action passée, et sous couvert de donner la parole aux assemblées communales, envisage un aggiornamento. « Nous interroger et peut-être rectifier les objectifs initiaux» d’ Août 1978 devient « définir une nouvelle politique pour les prochaines années » en mars 197915. Ce texte, que nous avons redécouvert, développe trois considérations. Dans un premier mouvement, J. Legendre se démarque des technocrates qui rêvaient d’un Compiègne de 100 000 habitants à l’échéance 1985, 130 à 150 000 habitants à l’aube du troisième millénaire, pour afficher un nouvel objectif quantitatif et fonder un nouveau projet urbain. « L’objectif me paraissait trop ambitieux. N’avais-je pas, dès 1959, annoncé mon intention de faire de Compiègne, une ville de 50 000 habitants et de ne pas aller au-delà ? J’ai la certitude d’atteindre ce but. Je proclame ma volonté de ne pas le dépasser. Alors, comment accueillir 100 000 habitants supplémentaires dans la périphérie ? C’était manifestement impossible » ( p 2). Dans un second mouvement, J. Legendre dévoile pour la première fois le pragmatisme qui inspirait son acceptation du rêve des planificateurs. « Dès 1972, je considérais les propositions des techniciens comme trop ambitieuses. Il était cependant de bonne politique de les accepter et cela pour plusieurs raisons :
Dans un dernier mouvement , J. Legendre s’interroge sur « un aspect négatif du SDAU »,- à savoir « le renversement de la conjoncture qui n’invite guère à l’effort créateur », les déceptions concernant les retombées directes et indirectes de l’aéroport de Roissy, l’inachèvement de la liaison fluviale Seine-Nord-, dont les conséquences sont évidentes : « Entre les programmations initiales du SDAU en matière de constructions de logements et les réalisations, je découvre un abîme ». Et le Président de l’intercommunalité d’aborder 3 points qui appellent une réorientation.
L’ex député maire conclut : « Avant de prendre le parti que vous choisirez, ayez présent à l’esprit qu’il fixera jusqu’à la fin du siècle l’avenir de votre commune et partant de notre agglomération » ( p 10) Ce mémorandum ne suscita aucune réaction dans les assemblées communales, même lorsque Jean Legendre adressa 7 mois plus tard une lettre de relance assortie d’une demande de délibération sur les projets pour les 5 années à venir. « Le moment est venu pour chacun de vous de dire ce qu’il veut ». Méconnaissant le texte tombé dès lors dans l’oubli, ignorant le calendrier fixé par le maire de Compiègne, les municipalités différèrent d’une mandature le moment pour exprimer leurs volontés, et choisirent la forme de prise de parole la plus politique qui soit : l’élection du successeur de Jean Legendre à la présidence du SIVOM en 1983. 13. La succession de Jean Legendre ( 1983). Le 25 Avril 1983, J. Legendre annonce son désir de n’assurer que sa seule charge de maire et parraine Michel Woimant comme son successeur : « Ce n’est pas un leader politique que vous pouvez craindre. Il aime la concertation, la conciliation » . Il faut trois tours de scrutin, pour que le président de la Commission d’Aménagement et d’Urbanisme du SIVOM l’emporte d’une voix sur Robert Ternacle, maire de Le Meux. Au premier tour, J Legendre, qui ne demande rien, recueille 26 suffrages contre 15 à son filleul. Le vote exprime autant l’affirmation de l’identification du président sortant au SIVOM que le nécessaire recours à un autre maire. Telle est l’explication donnée par R. Ternacle pour annoncer sa candidature : « Le syndicat ne peut être présidé que par un maire et un maire différent de celui de la ville la plus importante ». Au second tour, le dépouillement donne 20 voix à M. Woimant contre 19 à R. Ternacle. Au troisième tour, M. Woimant l’emporte par 21 voix contre 20 à son challenger ; le dénouement a tenu à « une voix flottante » 16. Les péripéties du vote expriment tant une évolution des rapports de force au sein du Conseil Syndical qu’un reclassement des enjeux au sein de l’intercommunalité.
En1983, l’intercommunalité compiègnoise semble donc située à un tournant de son histoire, comme si l’aggiornamento de 1978 en matière de développement local appelait un nécessaire signal politique.
Au cours des deux décennies qui allaient suivre, M. WOIMANT saura dépasser cet horizon sécurisant pour apporter des réponses aux interpellations en trouvant la voie d’un nouvel accord compiègnois, soucieux des exigences contradictoires du développement. 14. La longue présidence de Michel WOIMANT (1983-2004). L’affirmation locale de la présence politique de Michel Woimant a procédé du renouvellement des édiles, voulu par Jean Legendre lors des élections municipales de 1977 à Compiègne, et marqué par l’entrée des grands corps à l’hôtel de Ville. Il aura incarné 22 ans le Compiègnois, comme Président du SIVOM ( 1983-1999) et Président de la Communauté de Communes (2000-2004). L’homme se distingue par 4 dimensions21:
En somme, la biographie du personnage résume l’ histoire locale, quand l’Etat et les notabilités assises passaient de bonnes alliances pour conforter et faire vivre une décentralisation devenue plus ambitieuse, puis transformaient le gouvernement des villes en une gouvernance locale propre à répondre aux attentes nouvelles de leurs concitoyens23. II. Un modèle de développement local. Intégré peu à peu aux franges externes de la région francilienne, le Compiègnois semble, comme les autres agglomérations dans l’orbite de Paris, confronté à une alternative simple: ou bien devenir une simple zone de transition entre Paris et les grandes villes du Bassin Parisien ( Troyes, Reims, Amiens,..) évoluant vers une périurbanisation et la perte d’une certaine identité, ou bien tendre vers le statut plus enviable d’espaces intermédiaires en voie de structuration grâce à la promotion de ces moyennes et petites villes et à la constitution d’un réseau de transport adéquat. Le Compiègnois témoigne qu’une contremétropolisation est possible, sur le modèle de la « edge city », la « ville lisière-ville inversée »24. 21. Une contre métropolisation. Le pouvoir structurant du Compiègnois résulte de la volonté politique, claire et constante, de maintenir un équilibre entre emploi et résidence ; il a pris trois formes. Une réussite unique au nord de Paris. Pendant la période 1975-1990, la croissance s’est concentrée géographiquement dans le « Grand Bassin Parisien » ; en dehors de l’Ile de France, l’on ne comptait que 3 rares foyers de haute croissance25 : le Val de Loire, le pôle de Cherbourg autour de l’industrie nucléaire, et la zone d’emploi de Compiègne26. Entre 1982 et 1990, avec un solde positif de 4500 emplois, le Compiègnois assure 41 % des gains sur l’ensemble du département de l’Oise. Pendant la décennie 90, le Compiègnois reste dynamique : avec un gain de 3899 emplois entre 1990 et 2001, les effectifs de la CCRC augmentent de 16,7%, plus que la moyenne française (+14%) et départementale ( + 11,1%)27 . Une agglomération attractive. La Communauté de Communes de la Région de Compiègne est le second pôle d’emplois du département de l’Oise avec 35 864 emplois en 1999, à peine surclassé par le bassin creillois et ses 37643 emplois. Depuis 1982, le taux d’emploi, ie le rapport entre nombre d’emplois et nombre d’actifs, n’a cessé d’augmenter sur la CCRC : avec 32 174 emplois contre 29 454 actifs en 1990, le taux d’emploi était de 1,09 à Compiègne contre 0,8 pour la vallée de l’Oise en 1990 ; en 1999, il s’élève à 1,14 dans le Compiègnois, contre 1,11 dans l’agglomération de Beauvais, 1,06 dans celle de Chartres, 0,93 dans le Creillois et 0,72 dans le département. En 1999, sur les 35900 emplois offerts par la CCRC, 53 % de la CCRC sont occupés par les habitants de l’intercommunalité, soit 19200 actifs travaillant et résidant sur place : le taux d’entrée dans la CCRC ( 47 %) est donc supérieur à celui de l’agglomération du Beauvaisis (40%) témoignant d’une attractivité plus forte pour le Compiègnois. Le défi de la métropolisation28. Le Compiègnois résiste à l’attraction parisienne et s’intègre peu à peu aux franges franciliennes. En 1995, le taux de construction de maisons individuelles commencées entre 1985 et 1990, dont le ménage est originaire de l’Ile de France, supérieur à 30%, délimitait une aire qui englobait le Sud et le centre du département de l’Oise mais buttait sur les bastions du Compiègnois et du Beauvaisis. Le taux de migration alternante en direction de l’Ile de France, supérieur ou égal à 8%, prenait en écharpe le même territoire en 1990 : seul 6,7 % des actifs du Compiègnois allaient travailler en Ile de France ; en 1999, le taux atteint les 8%, avec 2200 personnes exerçant leur métier en région Ile de France. Ces trois observations permettent de discuter l’application à l’agglomération compiègnoise du concept de « ville avant-poste » tel qu’il est défini par Frédéric GILLI de l’INSEE. « Lorsque l’agglomération parisienne capte de nouveaux espaces, ceux-ci envoient une part croissante de la population de leur centre dans la capitale. En même temps les actifs des communes voisines, rurales ou périurbaines, sont attirés par le marché du travail que constituent ces zones en voie d’intégration (..) Les franges externes de l’espace francilien se constituent autour de villes relais, véritables centres périphériques qui prolongent l’influence du centre principal, manières de postes avancés de la métropole dans l’espace rural. Ces « villes avant-postes », similaires aux Edges cities observées par Joel Garreau (1991) autour des grandes villes américaines, peuvent être historiques ou sorties de terre (secteur 4 de Marne la Vallée) . Elles se trouvent potentiellement dans la situation des villes nouvelles en 1960 »29. Si la fonction de « pompe aspirante - refoulante » en matière d’emplois définit aujourd’hui la « couronne des villes avant-postes » structurant la croissance de la métropole francilienne à ses marges, le cas Compiègnois se démarque par sa forte polarisation en matière d’emplois et sa dépendance faible à l’égard de la région parisienne : pour 16700 entrées dans la CCRC, on ne comptait en 1999 que 2200 sorties vers la région Ile de France30. Evolution de la répartition des effectifs salariés de la CCRC par branche d'activité (1990-2001)
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